STRESSAUTRAVAIL

Textes - Accords et jurisprudences en lien avec le stress


On peut obtenir une condamnation pour harcèlement moral sans témoignages directs

HARCELEMENT : Une jurisprudence étonnante, du fait que la victime, en l’absence de témoignage direct et malgré une courte période de travail sous l’autorité de son supérieur, obtient en fin de compte une condamnation, laquelle repose sur :

-       les certificats médicaux attestant de l’état de souffrance et l’imputant au travail,

-     les témoignages indirects de personnes ayant constaté l’état de souffrance (délégué du personnel, ami),

-       l’absence de preuve contraire apportée par l’employeur.

 

L’infirmière harcelée (Cour d’appel de Versailles du 28 novembre 2011)

 

Le 1er août 2006, Mme X, infirmière ayant 17 années d’expérience professionnelle dans les centres de la médecine du travail, est engagée par la société INTERTECHNIQUE avec un contrat à durée indéterminée et une période d’essai de trois mois.

Dès son embauche, elle est en but à un comportement fautif de son supérieur hiérarchique, le Docteur Z.

Le 27 septembre 2006, son médecin traitant lui prescrit un arrêt de travail d’une semaine.

Le 5 octobre 2006, jour de la reprise de son travail, la société INTERTECHNIQUE rompt sa période d’essai.

Dans un premier temps, le 14 novembre suivant, le délégué du personnel, estimant avérée une

situation de harcèlement moral, sollicite de la société INTERTECHNIQUE une enquête

conformément aux dispositions de l’article L. 2313-2 du Code du travail.

Constatant une divergence sur la réalité du harcèlement l’opposant à la direction de la société

INTERTECHNIQUE, le délégué du personnel saisit la juridiction prud’homale d’une action

en substitution avec l’accord de Madame X en nullité de la rupture et en paiement de

dommages intérêts à l’encontre du Docteur Z et de la société INTERTECHNIQUE.

Son action fut poursuivie par le syndicat CGT en vertu de l’article L. 1154-2 du Code du

travail      applicable      en      l’espèce :      «Les organisations syndicales représentatives dans

l'entreprise peuvent exercer en justice toutes les actions résultant des articles L. 1152-1 à L.

1152-3 [...]. Elles peuvent exercer ces actions en faveur d'un salarié de l'entreprise dans les

conditions prévues par l'article L. 1154-1, sous réserve de justifier d'un accord écrit de

l'intéressé ».

La Cour d’appel de VERSAILLES statuant sur appel du jugement du Conseil de

prud’hommes de VERSAILLES du 5 novembre 2007, par arrêt du 4 mars 2009 (CA

VERSAILLES, 17e Ch., N° 07/04442, lexbase), rejetait l’ensemble des demandes estimant le

harcèlement non établi.

La Cour a cru pouvoir retenir

le fait « que le Docteur Z ne travaillait que deux jours par semaine au sein de la société INTERTECHNIQUE », qu’il avait été en congé trois semaines au mois d’août 2006, « de sorte que la période pendant laquelle » il avait travaillé avec Madame X « avait été très réduite » ; qu’ « aucun témoignage direct corroborant les dires de Madame X» n’avait été versé aux débats, les attestations et certificats médicaux communiqués se contentant de relater les dires de Madame X ou d’en déduire des conclusions ; que le Docteur Z contestait avoir jamais manqué de respect envers Madame X,

bien qu’il admettait avoir dû effectuer certains recadrages concernant son activité

professionnelle et que deux anciennes collaboratrices du Docteur Z attestaient avoir travaillé

avec lui « dans un climat de respect mutuel ».

De surcroît, la cour retenait que les difficultés relationnelles ayant existé entre Madame X et

le Docteur Z « résultent de conflits d’ordre strictement professionnel, la salariée n’ayant pas

accepté de se conformer aux exigences de son supérieur hiérarchique, dont il n’est pas établi

qu’elles aient été excessives, et que les actes constitutifs de harcèlement moral qui sont

imputés à ce dernier par l’intéressée ne sont pas avérés ».

Sur pourvoi, la Cour de cassation censurait cette appréciation par arrêt en date du 3 novembre

2010 (Ch. Soc. N° 09-42360, légifrance) : « Attendu que pour débouter de ses demandes le

syndicat CGT INTERTECHNIQUE, se substituant à Madame X sur le fondement de l’article

L. 1154-2 du Code du travail, l’arrêt retient que les certificats et attestations décrivant une

souffrance secondaire à une maltraitance sur le lieu de travail et rapportant que Mme X avait

été ramenée chez elle en pleurs et souffrant de nausées et qu’elle avait confié en pleurant que

le docteur Z la critiquait sans arrêt, n’établissent pas la réalité du harcèlement allégué ;

Qu’en statuant ainsi alors que ces éléments étaient suffisants pour faire présumer l’existence

d’un harcèlement moral, de sorte qu’il appartenait à l’employeur de prouver que les

agissements qui étaient reprochés au supérieur hiérarchique de Madame X étaient étrangers

à tout harcèlement, la Cour d’appel a violé [l’article L. 1154-1 du Code du travail] ».

La Cour de cassation renvoyait les parties devant la Cour d’appel de VERSAILLES autrement composée.

Cette dernière par arrêt en date du 28 novembre 2011 (19e Ch., N° 11/00465, lexbase) a accueilli les demandes présentées au nom de Madame X.

La Cour d’appel de VERSAILLES, conformément à une jurisprudence maintenant constante, a commencé à examiner si les éléments présentés pouvaient laisser présumer une situation de harcèlement.

Elle a retenu : « qu’il résulte d’une part du compte-rendu de l’audition de Mme X réalisée conjointement par Monsieur Roland Arnaud, délégué du personnel et par Monsieur Y, DRH de la société INTERTECHNIQUE, dans le cadre de l’enquête effectuée sur le fondement des dispositions prévues par l’article L. 2313-2 du Code du travail et d’autre part des documents communiqués aux débats par Mme X (attestations – certificat médical) :

- qu’à quatre reprises les 3 août 2006, 4 août 2006, 19 septembre 2006 et 27 septembre 2006 le docteur Z aurait adressé à Madame X, lorsque tous deux travaillaient au sein de l’infirmerie de l’entreprise hors toute présence extérieure, des reproches incessants sur le travail qu’elle venait d’effectuer manifestant à ces occasions et sur un ton humiliant qu’elle travaillait mal, pensait mal et manquait de rigueur, de tels propos répétés ayant eu pour effet de provoquer chez cette salariée des crises de larmes ainsi qu’une profonde souffrance ayant entraîné un arrêt de travail pendant huit jours suivi de consultations régulières auprès de son médecin traitant puis auprès d’une psychologue,

- que le 27 septembre 2006 Madame X avait été contrainte de faire appel à une amie aux fins de regagner son domicile, étant dans l’incapacité de reprendre possession de son véhicule compte tenu de l’état de stress important présenté à l’issue d’une journée au cours de laquelle le docteur Z n’aurait pas cessé de lui adresser des reproches et où l’intervention de Monsieur Y était restée inefficace,

- que ce même 27 septembre 2006 Madame X avait consulté son médecin traitant [...] qui lui avait prescrit un arrêt de travail de 8 jours et qui, par un certificat établi le 10 novembre 2006, avait attesté l’avoir vue en consultation à trois reprises en raison « d’une souffrance morale secondaire à une maltraitance morale sur son lieu de travail »,

- qu’enfin Madame X avait consulté une psychologue clinicienne [...] qui, dans un certificat établi le 2 février 2007, a précisé avoir apporté à celle-ci un soutien thérapeutique notamment en reprenant « avec elle les divers éléments concernant sa souffrance et un état de stress consécutifs à une situation professionnelle qu’elle a vécue de manière très traumatisante »,

[...] que ces éléments ainsi rapportés, précis et circonstanciés, font présumer l’existence d’un harcèlement moral ».

 

La Cour d’appel a ensuite considéré comme non pertinentes les justifications avancées par le docteur Z et tenant au fait qu’il n’avait en tout et pour tout travaillé que neufs jours avec Madame X, qu’un salarié attestait avoir assisté à une scène où le docteur Z « avait adopté vis- à-vis de Madame X une attitude tendant à valoriser l’analyse qu’elle avait fait des symptômes présentés par ce salarié et la rapidité des soins prodigués », qu’étaient versées aux débats « de nombreuses attestations d’infirmières ayant travaillé à ses côtés et qui ont souligné son comportement parfaitement respectueux à leur égard ».

 

La cour en conclut que se trouvaient caractérisés les comportements fautifs de harcèlement entraînant les sanctions de droit suivantes :

- La condamnation de la société INTERTECHNIQUE à verser à Madame X les sommes de 16.200 € au titre de la rupture illicite du contrat de travail, de 3.000 € au titre de l’absence de mesures de prévention et de 2.500 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

- La condamnation du docteur Z à lui verser la somme de 5.000 € au titre du préjudice causé par le harcèlement moral.

 

Voici une procédure judiciaire qui rappelle que si la preuve en matière de harcèlement est toujours délicate, les témoignages, mêmes indirects, et les certificats médicaux suffisent à établir la présomption de l’existence d’un harcèlement moral qui renvoie à l’employeur la charge de démontrer l’absence d’un tel harcèlement.

 


19/03/2012
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L'employeur doit prévenir tout acte de harcèlement, sinon...

Lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d’une démission.

L’employeur, tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, manque à cette obligation lorsqu’un salarié est victime, sur le lieu de travail, d’agissements de harcèlement moral ou sexuel exercés par l’un ou l’autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements.

 

C'est ce que cette récente jurisprudence de la Haute Cour vient confirmer.

 

 

 

 

Cour de cassation

 

chambre sociale

 

Audience publique du 19 janvier 2012

 

N° de pourvoi: 10-20935

 

Non publié au bulletin

 

Cassation partielle

 

M. Linden (conseiller le plus ancien faisant fonction de président), président

 

Me Jacoupy, avocat(s)

 

 

 

REPUBLIQUE FRANCAISE

 

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :  

 

 

Sur le moyen unique :

 

 

Vu les articles L. 1152-1, L. 1152-4 et L. 4121-1 du code du travail ;

 

 

Attendu, d’abord, que lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d’une démission ;

 

 

Attendu, ensuite, que l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, manque à cette obligation lorsqu’un salarié est victime, sur le lieu de travail, d’agissements de harcèlement moral ou sexuel exercés par l’un ou l’autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements ;

 

 

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que Mme X..., engagée le 16 février 2007 en qualité d’auxiliaire de vie de nuit par la société Quintal, qui exploite un établissement hospitalier, a rompu son contrat de travail le 28 février 2008 en invoquant la carence de son employeur pour la protéger du harcèlement moral qu’elle subissait du fait d’une autre salariée, Mme Y... ; qu’elle a saisi la juridiction prud’homale pour voir juger que la rupture produisait les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et obtenir le paiement de diverses sommes ;

 

 

Attendu que pour rejeter ces demandes, l’arrêt retient que l’employeur, dès qu’il a eu connaissance du comportement de Mme Y... à l ‘ égard de ses collègues, a pris les mesures nécessaires pour y mettre fin par une sanction disciplinaire, qu’il ne peut lui être reproché de ne pas avoir licencié cette salariée alors qu’il avait pris soin de modifier son contrat de travail par un passage à un travail de jour afin qu’elle ne soit plus en contact avec son ancienne collègue de nuit ;

 

 

Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

 

 

PAR CES MOTIFS :

 

 

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il rejette les demandes de Mme X... relatives à la rupture de son contrat de travail, l’arrêt rendu le 25 mai 2010, entre les parties, par la cour d’appel de Chambéry ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Grenoble ;

 

 

Condamne la société Quintal aux dépens ;

 

 

Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne la société Quintal à payer à Mme X... la somme de 2 500 euros ;

 

 

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

 

 

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf janvier deux mille douze.  

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

 

 

Moyen produit par Me Jacoupy, avocat aux Conseils pour Mme X....

 

 

Le moyen reproche à l’arrêt attaqué d’avoir qualifié la démission de Madame X... en une prise d’acte de la rupture de son contrat produisant les effets d’une démission et de l’avoir en conséquence déboutée de ses demandes fondées sur la rupture de son contrat,

 

 

AUX MOTIFS QUE « Lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture produit soit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, les effets d’une démission.

 

 

En l’espèce, Madame X... invoque un seul fait : la carence de la SARL QUINTAL à assurer sa sécurité en la protégeant du comportement de Madame Y....

 

 

II est certain qu’antérieurement au courrier du 26 janvier 2008, l’employeur ignorait tout du comportement de Madame Y..., que ce soit à l’égard des résidents ou de ses collègues. Or, immédiatement après la réception de ce courrier, il a pris toutes les mesures nécessaires pour mettre fin à la situation décrite par Mesdames X... et Z..., notamment en mettant Madame Y... à pied et ensuite en la sanctionnant disciplinairement. II ne peut pas sérieusement lui être reproché de ne pas licencier cette salariée, dès lors qu’il a pris soin de modifier son contrat de travail dans des conditions telles qu’elle ne soit plus en contact avec ses anciennes collègues de nuit...

 

 

En conséquence, la prise d’acte de la rupture de son contrat par Madame X... n’étant pas justifiée par le comportement fautif de la SARL QUINTAL, elle doit produire les effets d’une démission »,

 

 

ALORS QUE,

 

 

Tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, l’employeur manque à cette obligation lorsqu’un salarié est victime sur le lieu de travail d’agissements de harcèlement moral ou sexuel exercés par l’un ou l’autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faite cesser ces agissements ; qu’en statuant par les motifs précités, la Cour d’Appel a donc violé les articles L 1152-1, L 1152-4 et L 4121-1 du Code du Travail. 

 

Décision attaquée : Cour d’appel de Chambéry du 25 mai 2010

 

 

 

 

 


06/03/2012
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L'entreprise responsable des actes de ses managers

La Cour de cassation estime que le licenciement d'un manager accusé de harcèlement n'est pas justifié dès lors qu'il s'inscrit dans un mode de management global de l'entreprise fondée sur la "pression".

 

L'entreprise qui a mis en place un mode de management stressant ne peut licencier pour harcèlement moral l'un de ses managers qui l'applique. C'est en substance le message qu'adresse la Cour de cassation aux DRH dans un arrêt du 8 novembre 2011.

Harcèlement sur son équipe

Le responsable du centre d'accueil téléphonique d'une chaîne de télévision est licencié pour des agissements que son employeur analyse comme des faits de harcèlement moral à l'égard de collègues et de membres de son équipe. Il lui est reproché d'avoir dénigré certains de ses collaborateurs en public, ce qui a eu pour effet de saper leur autorité vis-à-vis de leurs subordonnés mais aussi d'avoir déstabilisé l'état psychologique de certains. L'employeur l'avait bien mis en garde mais son comportement avait persisté, soutenait l'entreprise devant la cour d'appel.

Un simple reflet du management de l'entreprise

Mais les juges, approuvé en cela par la Cour de cassation, imputent la responsabilité de cette mauvaise ambiance non pas au salarié licencié lui-même mais à l'entreprise, le salarié n'en étant en quelque sorte qu'une caisse de résonance. En effet, les juges soulignent que "la pression exercée habituellement sur le service d'accueil téléphonique pour en améliorer les performances et donc les résulats [est] de nature à favoriser un management énergique, qualifié de "motivant" en vue d'une productivité toujours accrue". Or, ce mode de management a "eu une grande part de responsabilité dans le stress ambiant dont se plaignait les salariés victimes des agissements [du salarié]".

Le stress est imputable à l'employeur non au manager

La Cour de cassation ne dédouane certes pas le salarié de ses propres agissements qu'elle juge "blâmables" mais le résultat est que son licencement n'est pas justifié au regard de la pression exercée sur lui par son employeur. Il est intéressant de noter que les juges, face à un cas de harcèlement moral dénoncé par l'entreprise, recherchent si le salarié n'est pas en quelque sorte une simple courroie de transmission d'un mode de management imposé par la direction. Les entreprises qui s'empressent de sanctionner, à juste titre, au nom de leur obligation de sécurité de résultat, le salarié auteur de harcèlement moral, vont devoir y réfléchir à deux fois et, surtout, s'interroger au préalable sur leur mode de management.

 


21/12/2011
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Rupture conventionnelle requalifiée en licenciement abusif pour cause de harcèlement moral

CA-Toulouse-03/06/2011-10/00338-ch.04sect.02ch.sociale
03/06/2011
ARRÊT N° N°RG: 10/00338
CL/DN
Décision déférée du 15 Décembre 2009 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire 15 Décembre 2009 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TOULOUSE - 08/03494
BRAMl Séverine J. C/ SARL COPIE REPRO INFIRMATION REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
Section 2 - Chambre sociale 4eme Chambre
ARRET DU TROIS JUIN DEUX MILLE ONZE
APPELANTE Madame Séverine J. 17 rue Maurice Mélat Pavillon 7607
représentée par laSCPDEMASQUARD-TAMAIN,avocats au barreau de TOULOUSE INTIMEE
SARL COPIE REPRO 77 avenue des Minimes 31200 TOULOUSE représentée par Me Guy DEDIEU,avocat au barreau D'ARIEGE COMPOSITION DE LA COUR L'affaire a été débattue le 07 Avril 2011, en audience publique, devant la Cour composée de: C.LATRABE, président
M. P.PELLARIN,conseiller V.HAIRON,conseiller qui en ont délibéré. Greffier, lors des débats : D. F. ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile
- signé par C.    LATRABE,président, et par D. F., greffier de chambre. FAITS ET PROCEDURE Madame Séverine J.,née le 27 juillet 1974, a été embauchée à compter du 1e roctobre 2003, par la S.A.R.L. COPIE REPRO, en qualité de secrétaire comptable. Par courrier recommandé en date du 24 juillet 2007, Madame J. a adressé sa démission à l'employeur.
Les parties ont néanmoins poursuivi leur relation de travail, le salaire mensuel brut de l'intéressée passant, alors, de 1 666,95 euros à1923,40euros.
Le 16 mai 2008, Madame J. a été destinataire d'une lettre d'avertissement.
Elle a été en situation d'arrêt de travail pour maladie du 21 mai 2008 au 4 juin 2008 puis du 21 juin 2008 au 15 septembre 2008.
Le 16 septembre 2008,le médecin du travail l'a déclarée apte à la reprise de son poste de travail.
Suivant courrier recommandé en date du 9 septembre 2008, l'employeur l'a invitée à se présenter à un entretien préalable à la rupture conventionnelle du contrat de travail, fixé au 16 septembre 2008.
A cette date, la rupture conventionnelle du contrat de travail a été signée entre les parties
Le récépissé de dépôt de la rupture conventionnelle auprès de la Direction Départemental du Travail de l'Emploi et de la Formation Professionnelle(DDTEFP)est en date du 2 octobre 2008.
Le 6 octobre 2008, le Directeur Départemental du Travail de l'Emploi et de la Formation Professionnelle a fait savoir aux parties que l'homologation sollicitée était accordée.
Estimant avoir été victime de harcèlement moral et contestant la rupture, Madame J. a saisi, le 12 novembre 2008, le Conseil de Prud'hommes de TOULOUSE.
Suivant jugement en date du 15 décembre 2009, cette juridiction a dit que la rupture du contrat de travail de Madame J. est bien une rupture conventionnelle, en conséquence a débouté Madame J. de l'ensemble de ses demandes et a débouté la S.A.R.L. COPIE REPRO de sa demande reconventionnelle sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Madame Séverine J. a relevé appel de cette décision dans des conditions de forme et de délai qui n'apparaissent pas critiquables.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
Reprenant oralement ses conclusions déposées au greffe le 1° décembre2010auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé de ses moyens, Madame J. demande à la Cour de :
- constater l'existence d'actes réitérés de faits de harcèlement perpétrés par Monsieur P. à son encontre,
- annuler l'avertissement adressé par Monsieur P., - constater que ces faits de harcèlement ont bien eu des répercussions graves sur son état de santé, - infirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes de TOULOUSE en ce qu'il a dit qu'elle ne ramenait pas la preuve du harcèlement moral dont elle a fait l'objet ; - condamner en conséquence, la S.A.R.L. COPIE REPRO à lui payer la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ; - constater que son consentement a été donné en réaction aux faits de harcèlement dont elle a fait l'objet, qu'il n'était pas libre et éclairé ; - constater que la procédure de rupture conventionnelle a débuté alors qu'elle était en arrêt maladie ; - constater que la S.A.R.L. COPIE REPRO n'a pas respecté le délai de rétraction de la salarié avant d'adresser la convention de rupture à l'administration ; - annuler la convention de rupture conventionnelle ; - prononcer la rupture du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur ; - condamner la S.A.R.L. COPIE REPRO à lui payer la somme de 23 080 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, - la condamner au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle explique qu'en avril 2008, l'employeur lui a fait des avances intempestives qu'elle a refusées et qu'à compter de cet épisode, alors que son travail n'avait jamais fait l'objet du moindre reproche, elle a reçu en représailles un avertissement parfaitement injustifié et elle a subi une forte pression psychologique qui s'est traduite par des stratégies d'isolement, des accusations infondées, des violences verbales et le retrait des tâches valorisantes de ses fonctions en les remplaçant par des activités non définies contractuellement et moins intéressantes, ce qui l'a contrainte à des arrêts de travail en raison d'un état dépressif sévère étant précisé, qu'avant cela elle n'avait jamais connu de dépression ni de problèmes d'anxiété.
Elle considère, dès lors qu'elle a été victime de harcèlement moral de sorte que la convention de rupture conventionnelle doit être annulée.
Dans ses conclusions du 7 avril2011,réitérées oralement auxquelles il y a lieu, également, de se référer pour l'exposé de ses moyens, la S. A.R. L. COPIE REPRO demande, au contraire, à la Cour de débouter Madame J. de l'intégralité de ses demandes et de la condamnerreconventionnellementau paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle soutient, pour l'essentiel, que l'avertissement du 16 mai 2008 n'est que l'expression de son pouvoir disciplinaire et qu'il n'y avait là, de sa part, aucune volonté malicieuse mais simplement la nécessaire volonté de rappeler à Madame J. , quels étaient ses missions et ses devoirs vis à vis de l'entreprise.
Elle ajoute qu'à partir de ce moment là, Madame J. s'est sentie mal dans l'entreprise et n'a plus souhaité véritablement s'inscrire dans une collaborationconstructive,ce qui ne saurait en toute hypothèse constituer la preuve d'une situation de harcèlement moral.
Elle estime, enfin,qu'aucun état de violence n'est à l'origine ni directement ni indirectement de la signature par Madame J. du document de rupture du contrat de travail laquelle s'est inscrite dans le strict respect des dispositions légales.
MOTIFS DE LA DECISION
- sur la demande d'annulation de l'avertissement du 16 mai 2008 :
Cet avertissement a donné lieu à une lettre recommandée circonstanciée de contestation de la salariée en date du 28 mai 2008 ,à un courrier du médecin du travail en date du 11 juillet 2008 mettant en garde l'employeur contre un risque psychosocial dans son entreprise et lui faisant part de ce qu'à la lecture de la lettre dont il s'agit, il lui était apparu que la rédaction de celle ci était telle qu'il y voyait transparaître une forme de harcèlement moral et enfin, à un courrier de l'employeur en date du 25 juillet 2008 indiquant à la salariée qu'il maintenait l'avertissement quant à l'appréciation des faits, qu'il n'était pas dans son intention de pratiquer une quelconque forme de harcèlement moral à son égard et lui demandant de considérer que les tournures de phrase ayant pu la blesser ou la choquer n'avaient pas été rédigées dans cette intention.
Le courrier d'avertissement litigieux qui est rédigé sur trois pages dactylographiées et sur un ton pour le moins comminatoire fait état d'une insubordination et d'une attitude intempestive de la salariée.
Ilyestreprochéàcettedernièred'avoirméconnuuneinterdictiondel'employeurenayantquittéprématurémentson poste de travail, le 2 mai 2008, d'avoir eu un comportement désinvolte en lui ayant annoncé qu'elle serait absente le 9 mai 2008 et que si la journée était finalement travaillée, elle la récupérerait un mercredi où elle ne travaillait pas normalement, d'être arrivée systématiquement en retard au travail que ce soit le matin oul'aprèsmidi et enfin, d'avoir refusé d'accomplir temporairement un travail demandé sans abus de pouvoir de la part de l'employeur.
Cependant, l'insubordination de la salariée ou son comportement fautif n'est en rien caractérisé.
En effet, en l'état des pièces de la procédure, il n'est nullement établi que le 2 mai 2008, la salariée a effectivement quitté son poste de travail en dépit d'une quelconque interdiction de l'employeur, le mail qui a été adressé à l'employeur,parMadameJ.,lemêmejour,à8heures21,traduisantaucontrairel'existenced'unconsensus,entreles parties et le compte rendu de réunion du 27 mars 2008 faisant apparaître que la S.A.R.L    . COPIEREPROserait fermée pour le pont du 8 mai sauf travail urgent, ce qui n'est pas démenti par cette dernière.
Les dires de l'employeur relativement à des retards de la salariée dans sa prise de poste que ce sort le matin ou l'après midi ne sont corroborés par aucune pièce du dossier.
Enfin, il ressort de l'attestation établie aux formes de droit par Madame V. autre salariée del'entrepriseque contrairement aux allégations de l'employeur, il ne s'agissait pas d'affecter, de manière ponctuelle, Madame J., secrétaire comptable, à l'atelier en reprographie mais qu'il s'agissait là d'une volonté affirmée de l'employeur de déclasser la salariée et de lui confier, désormais, cette tâche tous les après midi.
Il s'ensuit que les griefs invoqués par l'employeur àl'encontrede Madame J. ne sont pas établis de sorte que l'avertissement du 16 mai 2008 qui n'est pas justifié, doit être annulé.
- sur la demande de dommages intérêts pour harcèlement moral :
Selon les dispositions de l'article L1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Encasdelitige,ilappartientausalariédeprésenterdesélémentsdefaitlaissantsupposerl'existenced'un harcèlement moral ; au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que les agissements reprochés sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l'espèce, Madame J. a été destinataire non seulement d'un avertissement non justifié le 16 mai 2008 mais encore il ressort de l'attestation de Madame V . , ci dessus citée et dont le contenu ne donne lieu à aucune observation de la part de la S.A.R.L    . COPIEREPROque dans le même temps, cette dernière a multiplié àl'encontrede l'appelante les attitudes blessantes et déstabilisantes, l'attestante rapportant notamment les faits suivants :
j atteste avoir entendu M. P. hurler auprès deMelleJ    . à plusieurs reprises et plusparticulièremententre mai et juin 2008....j'ai également constaté queMelleJ    . n'était plus conviée aux apéritifs imprévus durant cette période. Je me suis
vuattribuerdesmaquettesquientempsnormalétaientconfiéesàMlleJ..M.P.aprisunstagiairedurant15joursà qui il confiait également la plupart des maquettes.
D' autre part, courant mai, j'ai entendu M. P. ordonner àMelleJ    . de travailler désormais à son bureau le matin et tous les après midi à l'atelier en reprographie...
Un tel comportement de l'employeur qui n'est justifié par aucun élément objectif et qui s'est ainsi manifesté de manière répétée, au sein d'une petite entreprise de cinq salariés a indéniablement eu pour effet non seulement de dégrader les conditions de travail de la salariée mais aussi d'altérer la santé physique ou mentale de l'intéressée, le médecin traitant de Madame J. indiquant le 8 décembre 2008, Madame J. est venue me consulter à partir du mois de mai 2008 pour des conflits avec son employeur. Régulièrement elle me montrait des courriers adressé par son employeur et me racontait le comportement d'harcèlement moral qu'il pratiquait. J'ai été obligé de la mettre en arrêt de travail pour état dépressifavecperted'appétit,amaigrissement,angoisses,dévalorisationdesoi,15joursenmaietàpartirdu21juin
jusqu'au 15 septembre date à laquelle a été décidé la rupture du contrat. Je l'a mis sous anxiolytique à partir de mai 2008 et sous antidépresseur depuis juillet2008"et Madame T. -JOYE,psychologue au service des maladies professionnelles et environnementales de l'hôpitalPURPAN,confirmant, le 29 août 2008 au niveau clinique, la symptomatologie est en faveur d un syndromeanxiodépressifréactionnelau vécu professionnel'.
De tels éléments sont de nature à caractériser le harcèlement moral dont Madame J. a été victime ce qui au regard des circonstancesdel'espècejustifiel'octroid'unesommede7500eurosàtitrededommagesintérêts.
- sur la rupture du contrat de travail :
Selon l'article L1237-11du code du travail, l'employeur et le salarié peuvent convenir en commun des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie. La rupture conventionnelle exclusive du licenciement ou de la démission ne peut être imposée par l'une ou l'autre partie.
A compter de la date de la signature de la rupture conventionnelle, chacune des deux parties dispose d'un délai de 15 jourscalendairespour se rétracter.
Une fois le délai expiré, le salarié ne peut plus se rétracter : il peut, toutefois, contester cette rupture parvoiejudiciaire.
Le véritable choix qui doit être ainsi offert au salarié doit être de quitter librement l'entreprise ou de rester et non celui de décider de laformede son départ.
Par ailleurs, le consentement du salarié doit être libre, éclairé et exempt de tout vice du
consentement, étant rappelé que selon l'article 1109 du code civil, il n'y a point de consentement valable si le consentement a été extorqué par violence.
Au cas présent, il est constant qu'alors que Madame J. se trouvait en arrêt de travail pour une pathologie directement liée à ses conditions de travail et au harcèlement moral dont elle avait été victime, l'employeur, suivant courrier recommandé en date du 9 septembre 2008, faisant état de ce que les parties avaient envisagé de procéder à la rupture conventionnelle du contrat de travail et de ce que le 5 septembre 2008, avait été remise à la salariée une copie des articles L1237-11 à L1237-16du code du travail portant sur la rupture conventionnelle, a fixé l'entretien en vue de cette rupture au 16 septembre2008,soit à la date prévue comme étant celle de la fin de l'arrêt de travailsusvisé,étant ajouté que la rupture conventionnelle a été signée à cette même date, la fin du délai de rétractation ayant été fixée au 1er octobre 2008.
Parailleurs,ilconvientdereleverqu'auxtermesdesoncertificatétabli,le29août2008,soitdanslesjoursquiont précédé la mise en oeuvre de la procédure de rupture conventionnelle, la psychologue du service des maladies professionnelles et environnementales de l'HôpitalPURPANaprès avoir noté, au niveau psychologique, chez la patiente, une blessure narcissique bien réelle, une estime en soi paraissant fortement atteinte et des sentiments de doutes, d'humiliation et d'angoisses encore très présents indique : de mon point de vue, la rupture du contrat semble s imposer comme la seule issue possible. Elle semble nécessaire pour le travail de reconstruction identitaire et pour permettre à cette dame de se libérer de l'emprise de son employeur etconséquemmentpour l'aider à se projeter dans un nouvel avenir professionnel'.
Il s'ensuit que les faits de harcèlement moral dont Madame J. a été victime et dont il est résulté, pour cette dernière, de tels troubles psychologiques caractérisent une situation de violence au sens de l'article 1112 du code civil justifiant, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés par les parties, l'annulation de l'acte de rupture conventionnelle intervenu le 16 septembre 2008 dans les circonstances ci dessus rappelées.
La rupture du contrat de travail litigieux doit, dès lors, produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
L'absence de cause réelle et sérieuse ouvre droit au bénéfice de la salariée à une indemnité. Suite à cette rupture, Madame J. a subi incontestablement un préjudice qui, au regard des circonstances del'espèce et
notamment de son âge, de son temps de présence dans l'entreprise ainsi que de la longue période de chômage qui a suivi doit être réparé par l'allocation d'une somme de 18 000 euros.
Les dépens de première instance et de l'appel seront mis à la charge de la S.A.R.L    . COPIEREPROqui succombe pour l'essentiel, laquelle sera également condamnée à verser à Madame J. la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS LA COUR, Infirme ladécisiondéférée, Et statuant à nouveau : Annule l'avertissement du 16 mai 2008, Dit que Madame J. a été victime de harcèlement moral, Annulel'actederuptureconventionnelleintervenuentrelesparties, Condamne la S.A.R.L    . COPIEREPROà payer à Madame Séverine J. les sommes de : -7500eurosàtitrededommagesintérêts, -18 000 euros à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, - 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, Condamne la S.A.R.L    . COPIEREPROaux dépens de première instance et de l'appel. LeprésentarrêtaétésignéparMmeC.LATRABE,présidentetparMmeD.F.,greffier. LE GREFFIER, LE PRESIDENT, Dominique F. Catherine LATRABE
CA-Toulouse-03/06/2011-10/00338-ch.04sect.02ch.sociale


08/09/2011
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Des entreprises entreprenantes...

Ceci est un extrait du rapport du Sénat sur le mal-être au travail :

Rapport d'information n° 642 (2009-2010) de M. Gérard DÉRIOT, fait au nom de la Mission d'information sur le mal-être au travail et de la commission des affaires sociales, déposé le 7 juillet 2010

Vous pouvez le retrouver dans son intégralité en cliquant sur le lien suivant :

 

http://www.senat.fr/rap/r09-642-1/r09-642-1.html

 

La mobilisation progressive des entreprises

Davantage soucieuses de leurs objectifs de performance et de rentabilité économique, les entreprises ont, au cours des dernières décennies, sans doute sous-estimé les effets des nouvelles méthodes de management et d'organisation du travail sur la santé physique et psychologique de leurs salariés. Force est de constater que le capital humain, aujourd'hui érigé en priorité, n'a pas toujours fait partie des préoccupations majeures des équipes dirigeantes.

Un certain déni entourait même les cas de souffrance au travail. Le plus souvent, l'on préférait imputer ce phénomène à des facteurs individuels (état dépressif, difficultés familiales...) plutôt qu'à des facteurs collectifs.

Pourtant, des entreprises ont commencé à prendre des initiatives, avant que la problématique de la santé psychologique au travail ne devienne un sujet de débat public. C'est le cas, pour prendre l'exemple de quelques entreprises dont la mission a auditionné des représentants, de Michelin, de Legrand ou de SFR, qui ont pris, dans le courant des années 2000, des mesures en faveur de la prévention des risques psychosociaux, de la formation des managers et de l'amélioration des conditions de travail.

La survenue de suicides ou de tentatives de suicide sur le lieu de travail a obligé les entreprises concernées (PSA, Renault, France Telecom) à réagir dans l'urgence et à envisager des changements organisationnels et managériaux.

a) Les bonnes pratiques de quelques entreprises qui ont commencé à agir avant la crise

 Michelin France

L'entreprise Michelin France se préoccupe, depuis 2002, du stress et des risques psychosociaux dans le cadre de ses plans d'action pour améliorer la qualité de vie au travail. Des actions de formation ont également été menées en direction de plusieurs acteurs-clés (médecins du travail, gestionnaires du personnel et managers de proximité) pour leur apprendre à repérer le stress et à réagir de façon adéquate. A ce jour, près de 2 700 personnes ont bénéficié de ces formations.

En outre, l'entreprise procède régulièrement, avec les médecins du travail, à une enquête individuelle pour diagnostiquer les situations difficiles. Des enquêtes plus ponctuelles ont été effectuées auprès des salariés de certains secteurs de l'entreprise, en partenariat avec le cabinet de conseil Stimulus. Enfin, en accord avec les partenaires sociaux, une nouvelle méthode, fondée sur un principe de pluridisciplinarité, va bientôt être expérimentée : l'équipe de management d'un secteur, un médecin, un ergonome et des membres du CHSCT seront chargés d'identifier en commun les postes les plus exposés et les facteurs de risque.

Selon Frantz Bléhaut, directeur des ressources humaines de Michelin France67(*), les managers de proximité ont un rôle essentiel à jouer pour détecter et traiter les situations difficiles. C'est pourquoi tous reçoivent, chez Michelin, une formation au phénomène du stress au travail. Par ailleurs, chaque salarié peut saisir, au sein du service du personnel, un référent pour l'alerter sur une situation difficile.

S'appuyant sur ce bilan, Michelin va prochainement signer un accord collectif qui s'attachera notamment à renforcer la prévention.

 Legrand

Le service chargé de la prévention au sein de l'entreprise et le CHSCT se sont saisis du problème des risques psychosociaux en 2006. Dès l'année suivante, la direction générale a décidé de lancer un plan d'action. Des groupes référents ont été constitués dans chaque établissement important, réunissant des représentants du management, du service des ressources humaines, des médecins du travail, du CHSCT et, éventuellement, d'autres acteurs, selon les situations locales. Par ailleurs, des commissions ont été chargées d'accompagner les salariés dans les processus de changement les plus difficiles. L'entreprise mobilise aussi ses médecins du travail pour organiser la remontée d'informations.

Grâce à ces actions et au maintien d'un management de terrain, l'entreprise Legrand est sans doute moins exposée que d'autres aux risques psychosociaux, selon Bruno Debatisse, directeur des ressources humaines France du groupe68(*). Elle s'apprête cependant à procéder à une enquête, en lien avec l'agence régionale pour l'amélioration des conditions de travail (Aract), afin d'affiner son diagnostic.

Face à l'accélération du changement et aux besoins d'adaptation grandissants des entreprises, Legrand a souhaité intensifier le rythme des négociations avec les partenaires sociaux. Un accord sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) a été conclu en octobre 2009, après deux ans de négociation, et un accord sur les risques psychosociaux devrait être signé avant l'été.

 SFR

Le groupe SFR a conclu, en 2003, un accord sur la qualité de vie professionnelle, qui aborde les problèmes du stress, du harcèlement, des conditions de travail ou encore de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale. Depuis, l'entreprise évalue régulièrement la qualité de vie au travail de ses salariés grâce à une enquête commandée à un institut de sondage.

Des outils de prévention ont été développés : une cellule d'écoute est, par exemple, accessible vingt-quatre heures sur vingt-quatre, grâce à laquelle les salariés peuvent recevoir un soutien psychologique. En 2003, l'entreprise a mis en place un dispositif de médiation et lancé un processus d'alerte sur les discriminations. Depuis un an, un observatoire du stress, placé sous la responsabilité de la médecine du travail, a également été installé, à titre expérimental, sur un site puis étendu à deux autres sites.

Le groupe investit dans la formation de ses managers en organisant des cycles de formation et des séminaires sur les bonnes pratiques. Face à l'irruption des nouvelles technologies, il promeut des initiatives, telles que la « journée sans e-mail » et réunit salariés et dirigeants à l'occasion de petits déjeuners.

Selon Benoît Dehaye, directeur des affaires sociales du groupe, les télécommunications sont un secteur en perpétuelle évolution, ce qui a un impact sur les organisations. Il faut veiller à maintenir une proximité entre les personnes en charge de la fonction RH et les salariés sur le terrain et accompagner le changement, en lien avec les institutions représentatives du personnel (IRP), avec des mesures de formation et, si nécessaire, par le recours à des intervenants extérieurs69(*).


* 67 Audition de Frantz Bléhaut, directeur des ressources humaines de Michelin France, mercredi 31 mars 2010.

* 68 Audition de Bruno Debatisse, directeur des ressources humaines France du groupe Legrand, mercredi 31 mars 2010.

* 69 Audition de Benoît Dehaye, directeur des affaires sociales du groupe SFR, mercredi 31 mars 2010.


02/04/2011
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